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LES ROUGON-MACQUART

les numéros, puis les tintements du compteur lui arrivaient en sonneries cristallines. Elle s’arrêta aux annonces d’un kiosque, crûment coloriées comme les images d’Épinal ; il y avait, sur un carreau, dans un cadre jaune et vert, une tête de diable ricanant, les cheveux hérissés, réclame d’un chapelier qu’elle ne comprit pas. De cinq en cinq minutes, l’omnibus des Batignolles passait, avec ses lanternes rouges et sa caisse jaune, tournant le coin de la rue Le Peletier, ébranlant la maison de son fracas ; et elle voyait les hommes de l’impériale, des visages fatigués qui se levaient et les regardaient, elle et Maxime, du regard curieux des affamés mettant l’œil à une serrure.

— Ah ! dit-elle, le parc Monceau, à cette heure, dort bien tranquillement.

Ce fut la seule parole qu’elle prononça. Ils restèrent là près de vingt minutes, silencieux, s’abandonnant à la griserie des bruits et des clartés. Puis, la table mise, ils vinrent s’asseoir, et, comme elle paraissait gênée par la présence du garçon, il le congédia.

— Laissez-nous… Je sonnerai pour le dessert.

Elle avait aux joues de petites rougeurs et ses yeux brillaient ; on eût dit qu’elle venait de courir. Elle rapportait de la fenêtre un peu du vacarme et de l’animation du boulevard. Elle ne voulut pas que son compagnon fermât la croisée.

— Eh ! c’est l’orchestre, dit-elle, comme il se plaignait du bruit. Tu ne trouves pas que c’est une drôle de musique ? Cela va très bien accompagner nos huîtres et notre perdreau.

Ses trente ans se rajeunissaient dans son escapade. Elle avait des mouvements vifs, une pointe de fièvre, et