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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/185

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LA CURÉE

ronflement des voitures continuait, sans qu’une note plus vive s’élevât. Elle était obligée de hausser la voix pour qu’il pût l’entendre, et les rougeurs de ses joues augmentaient. Il y avait encore, sur la console, des truffes, un entremets sucré, des asperges, une curiosité pour la saison. Il apporta le tout, pour ne plus avoir à se déranger, et comme la table était un peu étroite, il plaça à terre, entre elle et lui, un seau d’argent plein de glace, dans lequel se trouvait une bouteille de champagne. L’appétit de la jeune femme finissait par le gagner. Ils touchèrent à tous les plats, ils vidèrent la bouteille de champagne, avec des gaietés brusques, se lançant dans des théories scabreuses, s’accoudant comme deux amis qui soulagent leur cœur, après boire. Le bruit diminuait sur le boulevard ; mais elle l’entendait au contraire qui grandissait, et toutes ces roues, par instants, semblaient lui tourner dans la tête.

Quand il parla de sonner pour le dessert, elle se leva, secoua sa longue blouse de satin, pour faire tomber les miettes, en disant :

— C’est cela… Tu sais, tu peux allumer un cigare.

Elle était un peu étourdie. Elle alla à la fenêtre, attirée par un bruit particulier qu’elle ne s’expliquait pas. On fermait les boutiques.

— Tiens, dit-elle, en se retournant vers Maxime, l’orchestre qui se dégarnit.

Elle se pencha de nouveau. Au milieu, sur la chaussée, les fiacres et les omnibus croisaient toujours leurs yeux de couleur, plus rares et plus rapides. Mais, sur les côtés, le long des trottoirs, de grands trous d’ombre s’étaient creusés, devant les boutiques fermées. Les cafés seuls flambaient encore, rayant l’asphalte de nappes lumi-