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LA CURÉE

regret. Une ivresse, une langueur montaient des profondeurs plus vagues du boulevard. Dans le ronflement affaibli des voitures, dans l’effacement des clartés vives, il y avait un appel caressant à la volupté et au sommeil. Les chuchotements qui couraient, les groupes arrêtés dans un coin d’ombre, faisaient du trottoir le corridor de quelque grande auberge, à l’heure où les voyageurs gagnent leur lit de rencontre. Les lueurs et les bruits allaient toujours en se mourant, la ville s’endormait, des souffles de tendresse passaient sur les toits.

Lorsque la jeune femme se retourna, la lumière du petit lustre lui fit cligner les paupières. Elle était un peu pâle, maintenant, avec de courts frissons aux coins des lèvres. Charles disposait le dessert ; il sortait, rentrait encore, faisait battre la porte, lentement, avec son flegme d’homme comme il faut.

— Mais je n’ai plus faim ! s’écria Renée, enlevez toutes ces assiettes et donnez-nous le café.

Le garçon, habitué aux caprices de ses clientes, enleva le dessert et versa le café. Il emplissait le cabinet de son importance.

— Je t’en prie, mets-le à la porte, dit à Maxime la jeune femme, dont le cœur tournait.

Maxime le congédia ; mais il avait à peine disparu, qu’il revint une fois encore pour fermer hermétiquement les grands rideaux de la fenêtre, d’un air discret. Quand il se fut enfin retiré, le jeune homme, que l’impatience prenait, lui aussi, se leva, et, allant à la porte :

— Attends, dit-il, j’ai un moyen pour qu’il nous lâche.

Et il poussa le verrou.

— C’est ça, reprit-elle, nous sommes chez nous, au moins.