Page:Emile Zola - La Curée.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
LES ROUGON-MACQUART

ne fît plus un mouvement du côté de la glace et qu’elle s’abandonnât déjà. Et comme le jeune homme la prenait à bras-le-corps, elle dit avec son rire embarrassé et mourant :

— Voyons, laissez-moi… Tu me fais mal.

Ce fut le seul murmure de ses lèvres. Dans le grand silence du cabinet, où le gaz semblait flamber plus haut, elle sentit le sol trembler et entendit le fracas de l’omnibus des Batignolles qui devait tourner le coin du boulevard. Et tout fut dit. Quand ils se retrouvèrent côte à côte, assis sur le divan, il balbutia, au milieu de leur malaise mutuel :

— Bah ! ça devait arriver un jour ou l’autre.

Elle ne disait rien. Elle regardait d’un air écrasé les rosaces du tapis.

— Est-ce que tu y songeais, toi ?… continua Maxime, balbutiant davantage. Moi, pas du tout… J’aurais dû me défier du cabinet…

Mais elle, d’une voix profonde, comme si toute l’honnêteté bourgeoise des Béraud Du Châtel s’éveillait dans cette faute suprême :

— C’est infâme, ce que nous venons de faire là, murmura-t-elle, dégrisée, la face vieillie et toute grave.

Elle étouffait. Elle alla à la fenêtre, tira les rideaux, s’accouda. L’orchestre était mort ; la faute s’était commise dans le dernier frisson des basses et le chant lointain des violons, vague sourdine du boulevard endormi et rêvant d’amour. En bas, la chaussée et les trottoirs s’enfonçaient, s’allongeaient, au milieu d’une solitude grise. Toutes ces roues grondantes de fiacres semblaient s’en être allées, en emportant les clartés et la foule. Sous la fenêtre, le café Riche était fermé, pas un filet de