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LA CURÉE

La pensée des petits frisons de la veille lui vint. Elle regarda machinalement dans la glace ses cheveux que Céleste avait noués en grosses nattes. Puis elle se pelotonna au coin du feu, s’enfouissant dans les dentelles de son peignoir. Saccard, dont l’appartement se trouvait également au premier étage, faisant pendant à celui de sa femme, vint en pantoufles, en mari. Il mettait à peine une fois par mois les pieds dans la chambre de Renée, et toujours pour quelque délicate question d’argent. Ce matin-là, il avait les yeux rougis, le teint blême d’un homme qui n’a pas dormi. Il baisa la main de la jeune femme, galamment.

— Vous êtes malade, ma chère amie ? dit-il en s’asseyant à l’autre coin de la cheminée. Un peu de migraine, n’est-ce pas ?… Pardonnez-moi de vous casser la tête avec mon galimatias d’homme d’affaires ; mais la chose est assez grave…

Il tira d’une poche de sa robe de chambre le mémoire de Worms, dont Renée reconnut le papier glacé.

— J’ai trouvé hier ce mémoire sur mon bureau, continua-t-il, et je suis désolé, je ne puis absolument pas le solder en ce moment.

Il étudia du coin de l’œil l’effet produit sur elle par ses paroles. Elle parut profondément étonnée. Il reprit avec un sourire :

— Vous savez, ma chère amie, que je n’ai pas l’habitude d’éplucher vos dépenses. Je ne dis pas que certains détails de ce mémoire ne m’aient point un peu surpris. Ainsi, par exemple, je vois ici, à la seconde page : « Robe de bal : étoffe 70 fr. ; façon, 600 fr. ; argent prêté 5,000 fr. ; eau du docteur Pierre, 6 fr. » Voilà une robe de soixante-dix francs qui monte bien haut…