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LA CURÉE

dont la coquinerie l’enthousiasmait. Il ne lui donnait pas un sou, et même une fois elle lui prêta de l’argent, pour une dette de jeu.

Renée voulut insister, parla d’engager au moins les bijoux ; mais son mari lui fit entendre que cela n’était pas possible, que tout Paris s’attendait à les lui voir le lendemain. Alors la jeune femme, que le mémoire de Worms inquiétait beaucoup, chercha un autre expédient.

— Mais, s’écria-t-elle tout à coup, mon affaire de Charonne marche bien, n’est-ce pas ? Vous me disiez encore l’autre jour que les bénéfices seraient superbes… Peut-être que Larsonneau m’avancerait les cent trente-six mille francs ?

Saccard, depuis un instant, oubliait les pincettes entre ses jambes. Il les reprit vivement, se pencha, disparut presque dans la cheminée, où la jeune femme entendit sourdement sa voix qui murmurait :

— Oui, oui, Larsonneau, pourrait peut-être…

Elle arrivait enfin, d’elle-même, au point où il l’amenait doucement depuis le commencement de la conversation. Il y avait deux ans déjà qu’il préparait son coup de génie, du côté de Charonne. Jamais sa femme ne voulut aliéner les biens de la tante Élisabeth ; elle avait juré à cette dernière de les garder intacts pour les léguer à son enfant, si elle devenait mère. Devant cet entêtement, l’imagination du spéculateur travailla et finit par bâtir tout un poème. C’était une œuvre de scélératesse exquise, une duperie colossale dont la Ville, l’État, sa femme et jusqu’à Larsonneau, devaient être les victimes. Il ne parla plus de vendre les terrains ; seulement il gémit chaque jour sur la sottise qu’il y avait à les laisser