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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/251

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LA CURÉE

Devant une des fenêtres, la tante Élisabeth tricotait avec de longues aiguilles de bois ; et, dans le silence de la pièce, on n’entendait que le tic-tac de ces aiguilles.

Renée s’assit, gênée, ne pouvant faire un mouvement sans troubler la sévérité du haut plafond par un bruit d’étoffes froissées. Ses dentelles étaient d’une blancheur crue, sur le fond noir des tapisseries et des vieux meubles. M. Béraud du Châtel, les mains posées au bord du pupitre, la regardait. La tante Élisabeth parla du mariage prochain de Christine, qui devait épouser le fils d’un avoué fort riche ; la jeune fille était sortie avec une vieille domestique de la famille, pour aller chez un fournisseur ; et la bonne tante causait toute seule, de sa voix placide, sans cesser de tricoter, bavardant sur les affaires du ménage, jetant des regards souriants à Renée par-dessus ses lunettes.

Mais la jeune femme se troublait de plus en plus. Tout le silence de l’hôtel lui pesait sur les épaules, et elle eût donné beaucoup pour que les dentelles de sa robe fussent noires. Le regard de son père l’embarrassait au point qu’elle trouva Worms vraiment ridicule d’avoir imaginé de si grands volants.

— Comme tu es belle, ma fille ! dit tout à coup la tante Élisabeth, qui n’avait pas même encore vu les dentelles de sa nièce.

Elle arrêta ses aiguilles, elle assujettit ses lunettes, pour mieux voir. M. Béraud Du Châtel eut un pâle sourire.

— C’est un peu blanc, dit-il. Une femme doit être bien embarrassée avec ça sur les trottoirs.

— Mais, mon père, on ne sort pas à pied ! s’écria Renée, qui regretta ensuite ce mot du cœur.