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LA CURÉE

lâcheté plus grande la prit, elle embrassa son père, elle s’en alla.

La tante Élisabeth voulut l’accompagner jusqu’à l’escalier. En traversant l’enfilade des pièces, elle continuait à bavarder de sa petite voix de vieille :

— Tu es heureuse, chère enfant. Ça me fait bien plaisir de te voir belle et bien portante ; car si ton mariage avait mal tourné, sais-tu que je me serais crue coupable ?… Ton mari t’aime, tu as tout ce qu’il te faut, n’est-ce pas ?

— Mais oui, répondit Renée, s’efforçant de sourire, la mort dans le cœur.

La tante la retint encore, la main sur la rampe de l’escalier.

— Vois-tu, je n’ai qu’une crainte, c’est que tu ne te grises avec tout ton bonheur. Sois prudente, et surtout ne vends rien… Si un jour tu avais un enfant, tu trouverais pour lui une petite fortune toute prête.

Quand Renée fut dans son coupé, elle poussa un soupir de soulagement. Elle avait des gouttes de sueur froide aux tempes ; elle les essuya, en pensant à l’humidité glaciale de l’hôtel Béraud. Puis, lorsque le coupé roula au soleil clair du quai Saint-Paul, elle se souvint des cinquante mille francs, et toute sa douleur s’éveilla, plus vive. Elle qu’on croyait si hardie, comme elle venait d’être lâche ! Et pourtant c’était de Maxime qu’il s’agissait, de sa liberté, de leurs joies à tous deux ! Au milieu des reproches amers qu’elle s’adressait, une idée surgit tout à coup, qui mit son désespoir au comble : elle aurait dû parler des cinquante mille francs à la tante Élisabeth, dans l’escalier. Où avait-elle eu la tête ? La bonne femme lui aurait peut-être prêté la somme,