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LA CURÉE

vigoureuses poignées de main avec Larsonneau, et le quitta, en lui disant :

— Vous allez ce soir chez Laure, n’est-ce pas ?… Attendez-moi. J’aurai tout arrangé avec ma femme, nous prendrons nos dernières dispositions.

Laure d’Aurigny, qui déménageait souvent, habitait alors un grand appartement du boulevard Haussmann, en face de la Chapelle expiatoire. Elle venait de prendre un jour par semaine, comme les dames du vrai monde. C’était une façon de réunir à la fois les hommes qui la voyaient, un par un, dans la semaine. Aristide Saccard triomphait, les mardis soir ; il était l’amant en titre ; et il tournait la tête, avec un rire vague, quand la maîtresse de la maison le trahissait entre deux portes, en accordant pour le soir même un rendez-vous à un de ces messieurs. Lorsqu’il était resté le dernier de la bande, il allumait encore un cigare, causait affaires, plaisantait un instant sur le monsieur qui se morfondait dans la rue en attendant qu’il sortît ; puis, après avoir appelé Laure sa « chère enfant, » et lui avoir donné une petite tape sur la joue, il s’en allait tranquillement par une porte, tandis que le monsieur entrait par une autre. Le secret traité d’alliance qui avait consolidé le crédit de Saccard et fait trouver à la d’Aurigny deux mobiliers en un mois, continuait à les amuser. Mais Laure voulait un dénoûment à cette comédie. Ce dénoûment, arrêté à l’avance, devait consister dans une rupture publique, au profit de quelque imbécile qui payerait cher le droit d’être l’entreteneur sérieux et connu de tout Paris. L’imbécile était trouvé. Le duc de Rozan, las d’assommer inutilement les femmes de son monde, rêvait une réputation de débauché, pour accentuer d’un relief sa figure