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LES ROUGON-MACQUART

— J’ai dit à ma femme, continua-t-il, que vous étiez tout à fait ruiné… Vous avez joué à la Bourse, mangé votre argent avec des filles, tripoté dans de mauvaises spéculations ; enfin vous êtes sur le point de faire une faillite épouvantable… J’ai même donné à entendre que je ne vous croyais pas d’une parfaite honnêteté… Alors je lui ai expliqué que l’affaire de Charonne allait sombrer dans votre désastre, et que le mieux serait d’accepter la proposition que vous m’aviez faite de la dégager, en lui achetant sa part, pour un morceau de pain, il est vrai.

— Ce n’est pas fort, murmura l’agent d’expropriation. Et vous vous imaginez que votre femme va croire de pareilles bourdes ?

Saccard eut un sourire. Il était dans une heure d’épanchement.

— Vous êtes naïf, mon cher, reprit-il. Le fond de l’histoire importe peu ; ce sont les détails, le geste et l’accent qui sont tout. Appelez Rozan, et je parie que je lui persuade qu’il fait grand jour. Et ma femme n’a guère plus de tête que Rozan… Je lui ai laissé entrevoir des abîmes. Elle ne se doute pas même de l’expropriation prochaine. Comme elle s’étonnait que, en pleine catastrophe, vous puissiez songer à prendre une plus lourde charge, je lui ai dit que sans doute elle vous gênait dans quelque mauvais coup ménagé à vos créanciers… Enfin je lui ai conseillé l’affaire comme l’unique moyen de ne pas se trouver mêlée à des procès interminables et de tirer quelque argent des terrains.

Larsonneau continuait à trouver l’histoire un peu brutale. Il était de méthode moins dramatique ; chacune de ses opérations se nouait et se dénouait avec des élégances de comédie de salon.