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LES ROUGON-MACQUART

Renée, qu’il saluait gravement quand il la rencontrait.

M. Hupel de la Noue rejoignait le groupe formé derrière le fauteuil du baron, lorsque le piano entama une marche triomphale. De grands placages d’accords, frappés d’aplomb sur les touches, ouvraient un chant large, où, par instants, sonnaient des éclats métalliques. Après chaque phrase, une voix plus haute reprenait, en accentuant le rythme. C’était brutal et joyeux.

— Vous allez voir, murmura M. Hupel de la Noue ; j’ai poussé peut-être un peu loin la licence poétique ; mais je crois que l’audace m’a réussi… La nymphe Écho voyant que Vénus est sans puissance sur le beau Narcisse, le conduit chez Plutus, dieu des richesses et des métaux précieux… Après la tentation de la chair, la tentation de l’or.

— C’est classique, répondit le sec M. Toutin-Laroche, avec un sourire aimable. Vous connaissez votre temps, monsieur le préfet.

Les rideaux s’ouvraient, le piano jouait plus fort. Ce fut un éblouissement. Le rayon électrique tombait sur une splendeur flambante, dans laquelle les spectateurs ne virent d’abord qu’un brasier, où des lingots d’or et des pierres précieuses semblaient se fondre. Une nouvelle grotte se creusait ; mais celle-là n’était pas le frais réduit de Vénus, baigné par le flot mourant sur un sable fin semé de perles ; elle devait se trouver au centre de la terre, dans une couche ardente et profonde, fissure de l’enfer antique, crevasse d’une mine de métaux en fusion habitée par Plutus. La soie imitant le roc montrait de larges filons métalliques, des coulées qui étaient comme les veines du vieux monde, charriant les richesses incal-