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LA CURÉE

cule, la peur de perdre les bonnes grâces de son chef, le retenaient, malgré l’envie furieuse qu’il avait d’aller placer ces dames sur l’estrade, pour le dernier tableau. Il attendait qu’un mot heureux lui vînt et le fît rentrer en faveur. Mais il ne trouvait rien. Il se sentait de plus en plus gêné, lorsqu’il aperçut M. de Saffré ; il lui prit le bras, s’accrocha à lui comme à une planche de salut. Le jeune homme entrait, c’était une victime toute fraîche.

— Vous ne connaissez pas le mot de la marquise ? lui demanda le préfet.

Mais il était si troublé, qu’il ne savait plus présenter la chose d’une façon piquante. Il pataugeait.

— Je lui ai dit : « Vous avez un charmant costume ; » et elle m’a répondu…

— « J’en ai un bien plus joli dessous, » ajouta tranquillement M. de Saffré. C’est vieux, mon cher, très vieux.

M. Hupel de la Noue le regarda, consterné. Le mot était vieux, et lui qui allait approfondir encore son commentaire sur la naïveté de ce cri du cœur !

— Vieux, vieux comme le monde, répétait le secrétaire. Mme d’Espanet l’a déjà dit deux fois aux Tuileries.

Ce fut le dernier coup. Le préfet se moqua alors du ministre, du salon entier. Il se dirigeait vers l’estrade, lorsque le piano préluda, d’une voix attristée, avec des tremblements de notes qui pleuraient ; puis la plainte s’élargit, traîna longuement, et les rideaux s’ouvrirent. M. Hupel de la Noue, qui avait déjà disparu à moitié, rentra dans le salon, en entendant le léger grincement des anneaux. Il était pâle, exaspéré ; il faisait un violent effort sur lui-même pour ne pas apostropher ces dames.