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LA CURÉE

cendait du lointain de la scène, se regardait dans le clair miroir ; et l’on avait poussé la vérité jusqu’à mettre une lame de vraie glace au fond du ruisseau. Mais ce n’était déjà plus le jeune homme libre, le rôdeur de forêts ; la mort le surprenait au milieu de l’admiration ravie de son image, la mort l’alanguissait, et Vénus, de son doigt tendu, comme une fée d’apothéose, lui jetait le sort fatal. Il devenait fleur. Ses membres verdissaient, s’allongeaient, dans son costume collant de satin vert ; la tige flexible, les jambes légèrement recourbées, allaient s’enfoncer en terre, prendre racine, pendant que le buste, orné de larges pans de satin blanc, s’épanouissait en une corolle merveilleuse. La chevelure blonde de Maxime complétait l’illusion, mettait, avec ses longues frisures, des pistils jaunes au milieu de la blancheur des pétales. Et la grande fleur naissante, humaine encore, penchait la tête vers la source, les yeux noyés, le visage souriant d’une extase voluptueuse, comme si le beau Narcisse eût enfin contenté dans la mort les désirs qu’il s’était inspirés à lui-même. À quelques pas, la nymphe Écho se mourait aussi, se mourait de désirs inassouvis ; elle se trouvait peu à peu prise dans la raideur du sol, elle sentait ses membres brûlants se glacer et se durcir. Elle n’était pas rocher vulgaire, sali de mousse, mais marbre blanc, par ses épaules et ses bras, par sa grande robe de neige, dont la ceinture de feuillage et l’écharpe bleue avaient glissé. Affaissée au milieu du satin de sa jupe, qui se cassait à larges plis, pareil à un bloc de Paros, elle se renversait, n’ayant plus de vivant, dans son corps figé de statue, que ses yeux de femme, des yeux qui luisaient, fixés sur la fleur des eaux, penchée languissamment sur le miroir de la source. Et il sem-