Page:Emile Zola - La Curée.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
336
LES ROUGON-MACQUART

rouge, les plantes rares, les pots de majolique, d’un regard fixe.

Puis elle dit tout haut :

— Il faut que je lui parle.

Et elle revint dans le salon. Mais elle dut rester à l’entrée. Une figure du cotillon obstruait le passage. L’orchestre jouait en sourdine une phrase de valse. Les dames, se tenant par la main, formaient un rond, un de ces ronds de petites filles chantant Giroflé girofla ; et elles tournaient le plus vite possible, tirant sur leurs bras, riant, glissant. Au milieu, un cavalier, — c’était le malicieux M. Simpson, — avait à la main une longue écharpe rose ; il l’élevait, avec le geste d’un pêcheur qui va jeter un coup d’épervier ; mais il ne se pressait pas, il trouvait drôle, sans doute, de laisser tourner ces dames, de les fatiguer. Elles soufflaient, elles demandaient grâce. Alors il lança l’écharpe, et il la lança avec tant d’adresse, qu’elle alla s’enrouler autour des épaules de madame d’Espanet et de madame Haffner, tournant côte à côte. C’était une plaisanterie de l’Américain. Il voulut ensuite valser avec les deux dames à la fois, et il les avait déjà prises à la taille toutes deux, l’une de son bras gauche, l’autre de son bras droit, lorsque M. de Saffré dit, de sa voix sévère de roi du cotillon :

— On ne danse pas avec deux dames.

Mais M. Simpson ne voulait pas lâcher les deux tailles. Adeline et Suzanne se renversaient dans ses bras avec des rires. On jugeait le coup, les dames se fâchaient, le tapage se prolongeait, et les habits noirs, dans les embrasures des fenêtres, se demandaient comment Saffré allait sortir à sa gloire de ce cas délicat. Il parut, en effet, perplexe un moment, cherchant par quel raffinement de grâce il mettrait les rieurs de son côté. Puis il