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LES ROUGON-MACQUART

étages. Un seul pan de mur se dressait du tas des décombres ; pour le renverser d’un coup, on l’avait entouré d’une corde, sur laquelle tiraient une trentaine d’ouvriers.

— Ils ne l’auront pas, murmura le médecin. Ils tirent trop à gauche.

Les quatre autres étaient revenus sur leurs pas, pour voir tomber le mur. Et tous les cinq, les yeux tendus, la respiration coupée, attendaient la chute avec un frémissement de jouissance. Les ouvriers, lâchant, puis se roidissant brusquement, criaient : « Ohé ! hisse ! »

— Ils ne l’auront pas, répétait le médecin.

Puis, au bout de quelques secondes d’anxiété :

— Il remue, il remue, dit joyeusement un des industriels.

Et quand le mur céda enfin, s’abattit avec un fracas épouvantable, en soulevant un nuage de plâtre, ces messieurs se regardèrent avec des sourires. Ils étaient enchantés. Leurs redingotes se couvrirent d’une poussière fine, qui leur blanchit les bras et les épaules.

Maintenant, ils parlaient des ouvriers, en reprenant leur marche prudente au milieu des flaques. Il n’y en avait pas beaucoup de bons. C’étaient tous des fainéants, des mange-tout, et entêtés avec cela, ne rêvant que la ruine des patrons. M. de Mareuil, qui, depuis un instant, regardait avec un frisson deux pauvres diables perchés au coin d’un toit, attaquant une muraille à coups de pioche, émit cette idée que ces hommes-là avaient pourtant un fier courage. Les autres s’arrêtèrent de nouveau, levèrent les yeux vers les démolisseurs en équilibre, courbés, tapant à toute volée ; ils poussaient les pierres du pied et les regardaient tranquillement s’écraser en