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LA CURÉE

mière femme, sur les buttes Montmartre, et il se souvenait parfaitement d’avoir indiqué, du tranchant de sa main, l’entaille qui coupait Paris de la place du Château-d’Eau à la barrière du Trône. La réalisation de cette prédiction lointaine l’enchantait. Il suivait l’entaille, avec des joies secrètes d’auteur, comme s’il eût donné lui-même les premiers coups de pioche, de ses doigts de fer. Et il sautait les flaques, en songeant que trois millions l’attendaient sous des décombres, au bout de ce fleuve de fange grasse.

Cependant, ces messieurs se croyaient à la campagne. La voie passait au milieu de jardins, dont elle avait abattu les murs de clôture. Il y avait de grands massifs de lilas en boutons. Les verdures étaient d’un vert tendre très délicat. Chacun de ces jardins se creusait, comme un réduit tendu du feuillage des arbustes, avec un bassin étroit, une cascade en miniature, des coins de muraille où étaient peints des trompe-l’œil, des tonnelles en raccourci, des fonds bleuâtres de paysage. Les habitations, éparses et discrètement cachées, ressemblaient à des pavillons italiens, à des temples grecs ; et des mousses rongeaient le pied des colonnes de plâtre, tandis que des herbes folles avaient disjoint la chaux des frontons.

— Ce sont des petites maisons, dit le médecin, avec un clignement d’œil.

Mais comme il vit que ces messieurs ne comprenaient pas, il leur expliqua que les marquis, sous Louis XV, avaient des retraites pour leurs parties fines. C’était la mode. Et il reprit :

— On appelait ça des petites maisons. Ce quartier en était plein… Il s’y en est passé de fortes, allez !