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LES ROUGON-MACQUART

La commission d’enquête était devenue très attentive. Les deux industriels avaient les yeux luisants, souriaient, regardaient avec un vif intérêt ces jardins, ces pavillons, auxquels ils ne donnaient pas un coup d’œil avant les explications de leur collègue. Une grotte les retint longtemps. Mais lorsque le médecin eut dit, en voyant une habitation déjà touchée par la pioche, qu’il reconnaissait la petite maison du comte de Savigny, bien connue par les orgies de ce gentilhomme, toute la commission quitta le boulevard pour aller visiter la ruine. Ils montèrent sur les décombres, entrèrent par les fenêtres dans les pièces du rez-de-chaussée ; et, comme les ouvriers étaient à déjeuner, ils purent s’oublier là, tout à leur aise. Ils y restèrent une grande demi-heure, examinant les rosaces des plafonds, les peintures des dessus de porte, les moulures tourmentées de ces plâtras jaunis par l’âge. Le médecin reconstruisait le logis.

— Voyez-vous, disait-il, cette pièce doit être la salle des festins. Là, dans cet enfoncement du mur, il y avait certainement un immense divan. Et tenez, je suis même certain qu’une glace surmontait ce divan ; voilà les pattes de la glace… Oh ! c’étaient des coquins qui savaient joliment jouir de la vie !

Ils n’auraient pas quitté ces vieilles pierres qui chatouillaient leur curiosité, si Aristide Saccard, pris d’impatience, ne leur avait dit en riant :

— Vous aurez beau chercher, ces dames n’y sont plus… Allons à nos affaires.

Mais avant de s’éloigner, le médecin monta sur une cheminée, pour détacher délicatement, d’un coup de pioche, une petite tête d’Amour peinte, qu’il mit dans la poche de sa redingote.