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LES ROUGON-MACQUART

s’en allèrent, crottés jusqu’aux genoux, satisfaits de leur promenade comme d’une partie de campagne. Dans le fiacre, la conversation tourna, ils parlèrent politique, ils dirent que l’empereur faisait de grandes choses. On n’avait jamais rien vu de pareil à ce qu’ils venaient de voir. Cette grande rue toute droite serait superbe, quand on aurait bâti des maisons.

Ce fut Saccard qui rédigea le rapport, et le jury accorda trois millions. Le spéculateur était aux abois, il n’aurait pu attendre un mois de plus. Cet argent le sauvait de la ruine, et même un peu de la cour d’assises. Il donna cinq cent mille francs sur le million qu’il devait à son tapissier et à son entrepreneur, pour l’hôtel du parc Monceau. Il combla d’autres trous, se lança dans des sociétés nouvelles, assourdit Paris du bruit de ces vrais écus qu’il jetait à la pelle sur les tablettes de son armoire de fer. Le fleuve d’or avait enfin des sources. Mais ce n’était pas encore là une fortune solide, endiguée, coulant d’un jet égal et continu. Saccard, sauvé d’une crise, se trouvait misérable avec les miettes de ses trois millions, disait naïvement qu’il était encore trop pauvre, qu’il ne pouvait s’arrêter. Et, bientôt, le sol craqua de nouveau sous ses pieds.

Larsonneau s’était si admirablement conduit dans l’affaire de Charonne, que Saccard, après une courte hésitation, poussa l’honnêteté jusqu’à lui donner ses dix pour cent et son pot-de-vin de trente mille francs. L’agent d’expropriation ouvrit alors une maison de banque. Quand son complice, d’un ton bourru, l’accusait d’être plus riche que lui, le bellâtre à gants jaunes répondait en riant :

— Voyez-vous, cher maître, vous êtes très fort pour