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LA CURÉE

où elle était demeurée seule. Elle remonta dans son coupé, elle dit au cocher de retourner à l’hôtel. Mais, en chemin, elle se ravisa ; elle eut peur de sa chambre, de l’ennui qui l’attendait ; elle ne se sentait pas même le courage de rentrer changer de toilette, pour son tour de lac habituel. Elle avait un besoin de soleil, un besoin de foule.

Elle ordonna au cocher d’aller au Bois.

Il était quatre heures. Le Bois s’éveillait des lourdeurs de la chaude après-midi. Le long de l’avenue de l’Impératrice, des fumées de poussière volaient, et l’on voyait, au loin, les nappes étalées des verdures que bornaient les coteaux de Saint-Cloud et de Suresnes, couronnés par la grisaille du Mont-Valérien. Le soleil, haut sur l’horizon, coulait, emplissant d’une poussière d’or les creux des feuillages, allumait les branches hautes, changeait cet océan de feuilles en un océan de lumière. Mais, après les fortifications, dans l’allée du Bois qui conduit au lac, on venait d’arroser ; les voitures roulaient sur la terre brune, comme sur la laine d’une moquette, au milieu d’une fraîcheur, d’une senteur de terre mouillée qui montait. Aux deux côtés, les petits arbres des taillis enfonçaient, parmi les broussailles basses, la foule de leurs jeunes troncs, se perdant au fond d’un demi-jour verdâtre, que des coups de lumière trouaient, çà et là, de clairières jaunes ; et, à mesure qu’on approchait du lac, les chaises des trottoirs étaient plus nombreuses, des familles assises regardaient, de leur visage tranquille et silencieux, l’interminable défilé des roues. Puis, en arrivant au carrefour, devant le lac, c’était un éblouissement ; le soleil oblique faisait de la rondeur de l’eau un grand miroir d’argent poli, reflé-