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LES ROUGON-MACQUART

Celle-ci se laissait caresser. Elle restait heureuse sous les yeux noyés de sa maîtresse, le visage frais et souriant. Renée parla encore du passé. Et, brusquement, l’autre s’écria :

— J’oubliais : je ne vous ai pas conté l’histoire de Baptiste, le valet de chambre de monsieur… On n’aura pas voulu vous dire…

La jeune femme avoua qu’en effet elle ne savait rien.

— Eh bien, vous vous rappelez ses grands airs de dignité, ses regards dédaigneux, vous m’en parliez vous-même… Tout ça, c’était de la comédie… Il n’aimait pas les femmes, il ne descendait jamais à l’office, quand nous y étions ; et même, je puis le répéter maintenant, il prétendait que c’était dégoûtant au salon, à cause des robes décolletées. Je le crois bien, qu’il n’aimait pas les femmes !

Et elle se pencha à l’oreille de Renée ; elle la fit rougir, tout en gardant elle-même son honnête placidité.

— Quand le nouveau garçon d’écurie, continua-t-elle, eut tout appris à monsieur, monsieur préféra chasser Baptiste que de l’envoyer en justice. Il parût que ces vilaines choses se passaient depuis des années dans les écuries… Et dire que ce grand escogriffe avait l’air d’aimer les chevaux ! C’était les palefreniers qu’il aimait.

La cloche l’interrompit. Elle prit à la hâte les huit ou dix paquets dont elle n’avait pas voulu se séparer. Elle se laissa embrasser. Puis elle s’en alla, sans se retourner.

Renée resta dans la gare jusqu’au coup de sifflet de la locomotive. Et, quand le train fut parti, désespérée, elle ne sut plus que faire ; ses journées lui semblaient s’étendre devant elle, vides comme cette grande salle,