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LA CURÉE

ayant le tabac en horreur. Dans le fumoir, on riait, on plaisantait très librement. M. Hupel de la Noue égaya fort ces messieurs en leur racontant de nouveau l’histoire qu’il avait dite pendant le dîner, mais en la complétant par des détails tout à fait crus. C’était sa spécialité ; il avait toujours deux versions d’une anecdote, l’une pour les dames, l’autre pour les hommes. Puis, quand Aristide Saccard entra, il fut entouré et complimenté ; et comme il faisait mine de ne pas comprendre, M. de Saffré lui dit, dans une phrase très applaudie, qu’il avait bien mérité de la patrie en empêchant la belle Laure d’Aurigny de passer aux Anglais.

— Non, vraiment, messieurs, vous vous trompez, balbutiait Saccard avec une fausse modestie.

— Va, ne te défends donc pas ! lui cria plaisamment Maxime. À ton âge, c’est très beau.

Le jeune homme, qui venait de jeter son cigare, rentra dans le grand salon. Il était venu beaucoup de monde. La galerie était pleine d’habits noirs, debout, causant à demi voix, et de jupes, étalées largement le long des causeuses. Des laquais commençaient à promener des plats d’argent, chargés de glaces et de verres de punch.

Maxime, qui désirait parler à Renée, traversa le grand salon dans sa longueur, sachant bien où il trouverait le cénacle de ces dames. Il y avait, à l’autre extrémité de la galerie, faisant pendant au fumoir, une pièce ronde dont on avait fait un adorable petit salon. Ce salon, avec ses tentures, ses rideaux et ses portières de satin bouton d’or, avait un charme voluptueux, d’une saveur originale et exquise. Les clartés du lustre, très délicatement fouillé, chantaient une symphonie en jaune mineur, au milieu de toutes ces étoffes couleur de soleil. C’était