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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/63

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LA CURÉE

à la pensée de cette fortune dont son frère lui parlait. Il lui sembla qu’on le lâchait enfin dans la mêlée, en l’autorisant à égorger les gens, mais légalement, sans trop les faire crier. Eugène lui donna deux cents francs pour attendre la fin du mois.

Puis il resta songeur.

— Je compte changer de nom, dit-il enfin, tu devrais en faire autant… Nous nous gênerions moins.

— Comme tu voudras, répondit tranquillement Aristide.

— Tu n’auras à t’occuper de rien, je me charge des formalités… Veux-tu t’appeler Sicardot, du nom de ta femme ?

Aristide leva les yeux au plafond, répétant, écoutant la musique des syllabes :

— Sicardot…, Aristide Sicardot… Ma foi, non ; c’est ganache et ça sent la faillite.

— Cherche autre chose alors, dit Eugène.

— J’aimerais mieux Sicard tout court, reprit l’autre après un silence ; Aristide Sicard…, pas trop mal…, n’est-ce pas ? peut-être un peu gai…

Il rêva un instant encore, et, d’un air triomphant :

— J’y suis, j’ai trouvé, cria-t-il… Saccard, Aristide Saccard !… avec deux c… Hein ! il y a de l’argent dans ce nom-là ; on dirait que l’on compte des pièces de cent sous.

Eugène avait la plaisanterie féroce. Il congédia son frère en lui disant avec un sourire :

— Oui, un nom à aller au bagne ou à gagner des millions.

Quelques jours plus tard, Aristide Saccard était à l’Hôtel de Ville. Il apprit que son frère avait dû user d’un