Page:Emile Zola - La Curée.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
LA CURÉE

de 1854, Saccard lui confia qu’il avait en vue plusieurs affaires, mais qu’il lui faudrait d’assez fortes avances.

— On cherche, dit Eugène.

— Tu as raison, je chercherai, répondit-il sans la moindre mauvaise humeur, sans paraître s’apercevoir que son frère refusait de lui fournir les premiers fonds.

C’étaient ces premiers fonds dont la pensée le brûlait maintenant. Son plan était fait ; il le mûrissait chaque jour. Mais les premiers milliers de francs restaient introuvables. Ses volontés se tendirent davantage ; il ne regarda plus les gens que d’une façon nerveuse et profonde, comme s’il eût cherché un prêteur dans le premier passant venu. Au logis, Angèle continuait à mener sa vie effacée et heureuse. Lui, guettait une occasion, et ses rires de bon garçon devenaient plus aigus à mesure que cette occasion tardait à se présenter.

Aristide avait une sœur à Paris. Sidonie Rougon s’était mariée à un clerc d’avoué de Plassans qui était venu tenter avec elle, rue Saint-Honoré, le commerce des fruits du Midi. Quand son frère la retrouva, le mari avait disparu, et le magasin était mangé depuis longtemps. Elle habitait, rue du Faubourg-Poissonnière, un petit entresol, composé de trois pièces. Elle louait aussi la boutique du bas, située sous son appartement, une boutique étroite et mystérieuse, dans laquelle elle prétendait tenir un commerce de dentelles ; il y avait effectivement, dans la vitrine, des bouts de guipure et de la valencienne, pendus sur des tringles dorées ; mais, à l’intérieur, on eût dit une antichambre, aux boiseries luisantes, sans la moindre apparence de marchandises. La porte et la vitrine étaient garnies de légers rideaux qui,