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LES ROUGON-MACQUART

mettant le magasin à l’abri des regards de la rue, achevaient de lui donner l’air discret et voilé d’une pièce d’attente, s’ouvrant sur quelque temple inconnu. Il était rare qu’on vît entrer une cliente chez madame Sidonie ; le plus souvent même, le bouton de la porte était enlevé. Dans le quartier, elle répétait qu’elle allait elle-même offrir ses dentelles aux femmes riches. L’aménagement de l’appartement lui avait seul fait, disait-elle, louer la boutique et l’entresol, qui communiquaient par un escalier caché dans le mur. En effet, la marchande de dentelles était toujours dehors ; on la voyait dix fois en un jour sortir et rentrer, d’un air pressé. D’ailleurs, elle ne s’en tenait pas au commerce des dentelles ; elle utilisait son entresol, elle l’emplissait de quelque solde ramassé on ne savait où. Elle y avait vendu des objets en caoutchouc, manteaux, souliers, bretelles, etc. ; puis on y vit successivement une huile nouvelle pour faire pousser les cheveux, des appareils orthopédiques, une cafetière automatique, invention brevetée, dont l’exploitation lui donna bien du mal. Lorsque son frère vint la voir, elle plaçait des pianos, son entresol était encombré de ces instruments ; il y avait des pianos jusque dans sa chambre à coucher, une chambre très coquettement ornée, et qui jurait avec le pêle-mêle boutiquier des deux autres pièces. Elle tenait ces deux commerces avec une méthode parfaite ; les clients qui venaient pour les marchandises de l’entresol, entraient et sortaient par une porte cochère que la maison avait sur la rue Papillon ; il fallait être dans le mystère du petit escalier pour connaître le trafic en partie double de la marchande de dentelles. À l’entresol, elle se nommait madame Touche, du nom de son mari, tandis qu’elle n’avait mis que son