Page:Emile Zola - La Curée.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
LES ROUGON-MACQUART

qu’elle fut obligée de garder le lit pendant quelques semaines. Il fut ravi de l’aventure ; la fortune lui était enfin fidèle : il avait fait un marché d’or, une dot superbe, une femme belle à le faire décorer en six mois, et pas la moindre charge. On lui avait acheté deux cent mille francs son nom pour un fœtus que la mère ne voulut pas même voir. Dès lors, il songea avec amour aux terrains de Charonne. Mais, pour le moment, il accordait tous ses soins à une spéculation qui devait être la base de sa fortune.

Malgré la grande situation de la famille de sa femme, il ne donna pas immédiatement sa démission d’agent voyer. Il parla de travaux à finir, d’occupations à chercher. En réalité, il voulait rester jusqu’à la fin sur le champ de bataille où il jouait son premier coup de cartes. Il était chez lui, il pouvait tricher plus à son aise.

Le plan de fortune de l’agent voyer était simple et pratique. Maintenant qu’il avait en main plus d’argent qu’il n’en avait jamais rêvé pour commencer ses opérations, il comptait appliquer ses desseins en grand. Il connaissait son Paris sur le bout du doigt ; il savait que la pluie d’or qui en battait les murs tomberait plus dru chaque jour. Les gens habiles n’avaient qu’à ouvrir les poches. Lui s’était mis parmi les habiles, en lisant l’avenir dans les bureaux de l’Hôtel de Ville. Ses fonctions lui avaient appris ce qu’on peut voler dans l’achat et la vente des immeubles et des terrains. Il était au courant de toutes les escroqueries classiques : il savait comment on revend pour un million ce qui a coûté cinq cent mille francs ; comment on paie le droit de crocheter les caisses de l’État, qui sourit et ferme les yeux ; comment,