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LES ROUGON-MACQUART

tandis que les fonds s’emplissaient d’une brume légère, une poussière d’or, une rosée d’or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C’était comme le coin enchanté d’une cité des Mille et une Nuits, aux arbres d’émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d’or dans un creuset.

— Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d’enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris !

Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser. Mais son mari s’était levé, et, s’accoudant sur la rampe de la fenêtre :

— C’est la colonne Vendôme, n’est-ce pas, qui brille là-bas ?… Ici, plus à droite, voilà la Madeleine… Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire… Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?… On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste.

Sa voix devenait grave et émue. La comparaison qu’il avait trouvée parut le frapper beaucoup. Il avait bu du bourgogne, il s’oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle qui s’était également accoudée à son côté :

— Oui, oui, j’ai bien dit, plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est immense et comme il s’endort doucement ! C’est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d’Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s’ils