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LES ROUGON-MACQUART.

Il allait certainement ajouter : « Vuillet est un niais comme toi. » Mais en apercevant la face grimaçante de son frère qui se tendait anxieusement vers lui, il parut pris d’une subite défiance.

— Vuillet a du bon, dit-il avec tranquillité.

En quittant son frère, Aristide se sentit encore plus perplexe qu’auparavant. Eugène avait dû se moquer de lui, car Vuillet était bien le plus sale personnage qu’on pût imaginer. Il se promit d’être prudent, de ne pas se lier davantage, de façon à avoir les mains libres, s’il lui fallait un jour aider un parti à étrangler la République.

Le matin même de son départ, une heure avant de monter en diligence, Eugène emmena son père dans la chambre à coucher et eut avec lui un long entretien. Félicité, restée dans le salon, essaya vainement d’écouter. Les deux hommes parlaient bas, comme s’ils eussent redouté qu’une seule de leurs paroles pût être entendue du dehors. Quand ils sortirent enfin de la chambre, ils paraissaient très-animés. Après avoir embrassé son père et sa mère, Eugène, dont la voix traînait d’habitude, dit avec une vivacité émue :

— Vous m’avez bien compris, mon père ? Là est notre fortune. Il faut travailler de toutes nos forces, dans ce sens. Ayez foi en moi.

— Je suivrai tes instructions fidèlement, répondit Rougon. Seulement n’oublie pas ce que je t’ai demandé comme prix de mes efforts.

— Si nous réussissons, vos désirs seront satisfaits, je vous le jure. D’ailleurs, je vous écrirai, je vous guiderai, selon la direction que prendront les événements. Pas de panique ni d’enthousiasme. Obéissez-moi en aveugle.

— Qu’avez-vous donc comploté ? demanda curieusement Félicité.

— Ma chère mère, répondit Eugène avec un sourire, vous