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LES ROUGON-MACQUART.

gnes et qui lui-même vivait dans une oisiveté crapuleuse. Elle finit par trembler pour le succès de leurs secrètes menées, qu’Antoine compromettait comme à plaisir ; lorsqu’on lui rapportait les diatribes que cet homme déclamait en public contre le salon jaune, elle frissonnait en pensant qu’il était capable de s’acharner et de tuer leurs espérances par le scandale.

Antoine sentait à quel point son attitude devait consterner les Rougon, et c’était uniquement pour les mettre à bout de patience, qu’il affectait, de jour en jour, des convictions plus farouches. Au café, il appelait Pierre « mon frère, » d’une voix qui faisait retourner tous les consommateurs ; dans la rue, s’il venait à rencontrer quelque réactionnaire du salon jaune, il murmurait de sourdes injures que le digne bourgeois, confondu de tant d’audace, répétait le soir aux Rougon en paraissant les rendre responsables de la mauvaise rencontre qu’il avait faite.

Un jour, Granoux arriva furieux.

— Vraiment, cria-t-il dès le seuil de la porte, c’est intolérable ; on est insulté à chaque pas.

Et, s’adressant à Pierre :

— Monsieur, quand on a un frère comme le vôtre, on en débarrasse la société. Je venais tranquillement par la place de la sous-préfecture, lorsque ce misérable, en passant à côté de moi, a murmuré quelques paroles au milieu desquelles j’ai parfaitement distingué le mot de vieux coquin.

Félicité pâlit et crut devoir présenter des excuses à Granoux ; mais le bonhomme ne voulait rien entendre, il parlait de rentrer chez lui. Le marquis s’empressa d’arranger les choses.

— C’est bien étonnant, dit-il, que ce malheureux vous ait appelé vieux coquin ; êtes-vous sûr que l’injure s’adressait à vous ?

Granoux devint perplexe ; il finit par convenir qu’Antoine