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LA FORTUNE DES ROUGON.

avait bien pu murmurer : « Tu vas encore chez ce vieux coquin. »

M. de Carnavant se caressa le menton pour cacher le sourire qui montait malgré lui à ses lèvres.

Rougon dit alors avec le plus beau sang-froid :

— Je m’en doutais, c’est moi qui devais être le vieux coquin. Je suis heureux que le malentendu soit expliqué. Je vous en prie, messieurs, évitez l’homme dont il vient d’être question, et que je renie formellement.

Mais Félicité ne prenait pas aussi froidement les choses, elle se rendait malade à chaque esclandre de Macquart ; pendant des nuits entières, elle se demandait ce que ces messieurs devaient penser.

Quelques mois avant le coup d’État, les Rougon reçurent une lettre anonyme, trois pages d’ignobles injures, au milieu desquelles on les menaçait, si jamais leur parti triomphait, de publier dans un journal l’histoire scandaleuse des anciennes amours d’Adélaïde et du vol dont Pierre s’était rendu coupable, en faisant signer un reçu de cinquante mille francs à sa mère, rendue idiote par la débauche. Cette lettre fut un coup de massue pour Rougon lui-même. Félicité ne put s’empêcher de reprocher à son mari sa honteuse et sale famille ; car les époux ne doutèrent pas un instant que la lettre fût l’œuvre d’Antoine.

— Il faudra, dit Pierre d’un air sombre, nous débarrasser à tout prix de cette canaille. Il est par trop gênant.

Cependant Macquart, reprenant son ancienne tactique, cherchait des complices contre les Rougon, dans la famille même. Il avait d’abord compté sur Aristide, en lisant ses terribles articles de l’Indépendant. Mais le jeune homme, bien qu’aveuglé par ses rages jalouses, n’était point assez sot pour faire cause commune avec un homme tel que son oncle. Il ne prit même pas la peine de le ménager et le tint toujours à distance, ce qui le fit traiter de suspect par Antoine ; dans