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LES ROUGON-MACQUART.

— J’ai bien froid, dit-elle, en remettant le capuchon de sa pelisse.

— Veux-tu que nous marchions ? lui demanda le jeune homme. Il n’est pas neuf heures, nous pouvons faire un bout de promenade sur la route.

Miette pensait qu’elle n’aurait peut-être pas de longtemps la joie d’un rendez-vous, d’une de ces causeries du soir, pour lesquelles elle vivait les journées.

— Oui, marchons, répondit-elle vivement, allons jusqu’au moulin… Je passerais la nuit, si tu voulais.

Ils quittèrent le banc et se cachèrent dans l’ombre d’un tas de planches. Là, Miette écarta sa pelisse, qui était piquée à petits losanges et doublée d’une indienne rouge sang ; puis elle jeta un pan de ce chaud et large manteau sur les épaules de Silvère, l’enveloppant ainsi tout entier, le mettant avec elle, serré contre elle, dans le même vêtement. Ils passèrent mutuellement un bras autour de leur taille pour ne faire qu’un. Quand ils furent ainsi confondus en un seul être, quand ils se trouvèrent enfouis dans les plis de la pelisse au point de perdre toute forme humaine, ils se mirent à marcher à petits pas, se dirigeant vers la route, traversant sans crainte les espaces nus du chantier, blancs de lune. Miette avait enveloppé Silvère, et celui-ci s’était prêté à cette opération, d’une façon toute naturelle, comme si la pelisse leur eût, chaque soir, rendu le même service.

La route de Nice, aux deux côtés de laquelle se trouve bâti le faubourg, était bordée, en 1851, d’ormes séculaires, vieux géants, ruines grandioses et pleines encore de puissance, que la municipalité proprette de la ville a remplacés, depuis quelques années, par de petits platanes. Lorsque Silvère et Miette se trouvèrent sous les arbres, dont la lune dessinait le long du trottoir les branches monstrueuses, ils rencontrèrent, à deux ou trois reprises, des masses noires qui se mouvaient silencieusement, au ras des maisons.