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LA FORTUNE DES ROUGON.

de ses discours l’estaminet, où ses regards furibonds lui assuraient un crédit illimité. D’ailleurs, il ne travaillait que lorsqu’il n’avait pu soutirer une pièce de cent sous à Silvère ou à un camarade. Il ne fut plus « monsieur » Macquart, cet ouvrier rasé et endimanché tous les jours, qui jouait au bourgeois ; il redevint le grand diable malpropre qui avait spéculé jadis sur ses haillons. Maintenant qu’il se trouvait presque à chaque marché pour vendre ses corbeilles, Félicité n’osait plus aller à la halle. Il lui fit une fois une scène atroce. Sa haine pour les Rougon croissait avec sa misère. Il jurait, en proférant d’effroyables menaces, de se faire justice lui-même, puisque les riches s’entendaient pour le forcer au travail.

Dans ces dispositions d’esprit, il accueillit le coup d’État avec la joie chaude et bruyante d’un chien qui flaire la curée. Les quelques libéraux honorables de la ville n’ayant pu s’entendre et se tenant à l’écart, il se trouva naturellement un des agents les plus en vue de l’insurrection. Les ouvriers, malgré l’opinion déplorable qu’ils avaient fini par avoir de ce paresseux, devaient le prendre à l’occasion comme un drapeau de ralliement. Mais les premiers jours, la ville restant paisible, Macquart crut ses plans déjoués. Ce fut seulement à la nouvelle du soulèvement des campagnes qu’il se remit à espérer. Pour rien au monde, il n’aurait quitté Plassans ; aussi inventa-t-il un prétexte pour ne pas suivre les ouvriers qui allèrent, le dimanche matin, rejoindre la bande insurrectionnelle de la Palud et de Saint-Martin-de-Vaulx. Le soir du même jour, il était avec quelques fidèles dans un estaminet borgne du vieux quartier, lorsqu’un camarade accourut les prévenir que les insurgés se trouvaient à quelques kilomètres de Plassans. Cette nouvelle venait d’être apportée par une estafette qui avait réussi à pénétrer dans la ville, et qui était chargée d’en faire ouvrir les portes à la colonne. Il y eut une explosion de triomphe. Macquart sur-