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LES ROUGON-MACQUART.

tout parut délirer d’enthousiasme. L’arrivée imprévue des insurgés lui sembla une attention délicate de la Providence à son égard. Et ses mains tremblaient à la pensée qu’il tiendrait bientôt les Rougon à la gorge.

Cependant, Antoine et ses amis sortirent en hâte du café. Tous les républicains qui n’avaient pas encore quitté la ville se trouvèrent bientôt réunis sur le cours Sauvaire. C’était cette bande que Rougon avait aperçue en courant se cacher chez sa mère. Lorsque la bande fut arrivée à la hauteur de la rue de la Banne, Macquart, qui s’était mis à la queue, fit rester en arrière quatre de ses compagnons, grands gaillards de peu de cervelle qu’il dominait de tous ses bavardages de café. Il leur persuada aisément qu’il fallait arrêter sur-le-champ les ennemis de la république, si l’on voulait éviter les plus grands malheurs. La vérité était qu’il craignait de voir Pierre lui échapper, au milieu du trouble que l’entrée des insurgés allait causer. Les quatre grands gaillards le suivirent avec une docilité exemplaire et vinrent heurter violemment à la porte des Rougon. Dans cette circonstance critique, Félicité fut admirable de courage. Elle descendit ouvrir la porte de la rue.

— Nous voulons monter chez toi, lui dit brutalement Macquart.

— C’est bien, messieurs, montez, répondit-elle avec une politesse ironique, en feignant de ne pas reconnaître son beau-frère.

En haut, Macquart lui ordonna d’aller chercher son mari.

— Mon mari n’est pas ici, dit-elle de plus en plus calme, il est en voyage pour ses affaires ; il a pris la diligence de Marseille, ce soir à six heures.

Antoine, à cette déclaration faite d’une voix nette, eut un geste de rage. Il entra violemment dans le salon, passa dans la chambre à coucher, bouleversa le lit, regardant derrière