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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/208

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LES ROUGON-MACQUART.

lui. Cependant le vieux mourut de chagrin. Miette, restée seule, aurait mendié sur les routes, si les voisines ne s’étaient souvenues qu’elle avait une tante à Plassans. Une âme charitable voulut bien la conduire chez cette tante, qui l’accueillit assez mal.

Eulalie Chantegreil, mariée au méger Rébufat, était une grande diablesse noire et volontaire qui gouvernait au logis. Elle menait son mari par le bout du nez, disait-on dans le faubourg. La vérité était que Rébufat, avare, âpre à la besogne et au gain, avait une sorte de respect pour cette grande diablesse, d’une vigueur peu commune, d’une sobriété et d’une économie rares.

Grâce à elle, le ménage prospérait. Le méger grogna le soir où, en rentrant du travail, il trouva Miette installée. Mais sa femme lui ferma la bouche, en lui disant de sa voix rude :

— Bah ! la petite est bien constituée ; elle nous servira de servante ; nous la nourrirons et nous économiserons les gages.

Ce calcul sourit à Rébufat. Il alla jusqu’à tâter les bras de l’enfant, qu’il déclara avec satisfaction très-forte pour son âge. Miette avait alors neuf ans. Dès le lendemain, il l’utilisa. Le travail des paysannes, dans le Midi, est beaucoup plus doux que dans le Nord. On y voit rarement les femmes occupées à bêcher la terre, à porter les fardeaux, à faire des besognes d’hommes. Elles lient les gerbes, cueillent les olives et les feuilles de mûrier ; leur occupation la plus pénible est d’arracher les mauvaises herbes. Miette travailla gaiement. La vie en plein air était sa joie et sa santé. Tant que sa tante vécut, elle n’eut que des rires. La brave femme, malgré ses brusqueries, l’aimait comme son enfant ; elle lui défendait de faire les gros travaux dont son mari tentait parfois de la charger, et elle criait à ce dernier :

— Ah ! tu es un habile homme ! Tu ne comprends donc