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LES ROUGON-MACQUART.

ments de tête, les ivresses que leur causaient les herbes hautes de l’aire Saint-Mittre.

Ils battirent pendant deux étés ce coin de pays. Chaque bout de rocher, chaque banc de gazon les connut bientôt, et il n’était pas un bouquet d’arbres, une haie, un buisson, qui ne devînt leur ami. Ils réalisèrent leurs rêves : ce furent des courses folles dans les prés Sainte-Claire, et Miette courait joliment, et il fallait que Silvère fît ses plus grandes enjambées pour l’attraper. Ils allèrent aussi dénicher des nids de pie ; Miette, entêtée, voulant montrer comment elle grimpait aux arbres, à Chavanoz, se liait les jupes avec un bout de ficelle, et montait sur les plus hauts peupliers ; en bas, Silvère frissonnait, les bras en avant, comme pour la recevoir, si elle venait à glisser. Ces jeux apaisaient leurs sens, au point qu’un soir ils faillirent se battre comme deux galopins qui sortent de l’école. Mais, dans la campagne large, il y avait encore des trous qui ne leur valaient rien. Tant qu’ils marchaient, c’était des rires bruyants, des poussées, des taquineries ; ils faisaient des lieues, allaient parfois jusqu’à la chaîne des Garrigues, suivaient les sentiers les plus étroits, et souvent coupaient à travers champs ; la contrée leur appartenait, ils y vivaient comme en pays conquis, jouissant de la terre et du ciel. Miette, avec cette conscience large des femmes, ne se gênait même pas pour cueillir une grappe de raisins, une branche d’amandes vertes, aux vignes, aux amandiers, dont les rameaux la fouettaient au passage ; ce qui contrariait les idées absolues de Silvère, sans qu’il osât d’ailleurs gronder la jeune fille, dont les rares bouderies le désespéraient. « Ah ! la mauvaise ! pensait-il en dramatisant puérilement la situation, elle ferait de moi un voleur. » Et Miette lui mettait dans la bouche sa part du fruit volé. Les ruses qu’il employait, — la tenant à la taille, évitant les arbres fruitiers, se faisant poursuivre le long des plants de vignes, — pour la détourner de ce be-