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LA FORTUNE DES ROUGON.

soin instinctif de maraude, le mettaient vite à bout d’imagination. Et il la forçait à s’asseoir. C’était alors qu’ils recommençaient à étouffer. Les creux de la Viorne, surtout, étaient pour eux pleins d’une ombre fiévreuse. Quand la fatigue les ramenait au bord du torrent, ils perdaient leurs belles gaietés de gamins. Sous les saules, des ténèbres grises flottaient, pareilles aux crêpes musqués d’une toilette de femme. Les enfants sentaient ces crêpes, comme parfumés et tièdes encore des épaules voluptueuses de la nuit, les caresser aux tempes, les envelopper d’une langueur invincible. Au loin, les grillons chantaient dans les prés Sainte-Claire, et la Viorne avait à leurs pieds des voix chuchotantes d’amoureux, des bruits adoucis de lèvres humides. Du ciel endormi tombait une pluie chaude d’étoiles. Et, sous le frisson de ce ciel, de ces eaux, de cette ombre, les enfants, couchés sur le dos, en pleine herbe, côte à côte, pâmés et les regards perdus dans le noir, cherchaient leur main, échangeaient une étreinte courte.

Silvère, qui comprenait vaguement le danger de ces extases, se levait parfois d’un bond en proposant de passer dans une des petites îles que les eaux basses découvraient au milieu de la rivière. Tous deux, les pieds nus, s’aventuraient ; Miette se moquait des cailloux, elle ne voulait pas que Silvère la soutînt, et il lui arriva une fois de s’asseoir au beau milieu du courant ; mais il n’y avait pas vingt centimètres d’eau, elle en fut quitte pour faire sécher sa première jupe. Puis, quand ils étaient dans l’île, ils se couchaient à plat ventre sur une langue de sable, les yeux au niveau de la surface de l’eau, dont ils regardaient au loin, dans la nuit claire, frémir les écailles d’argent. Alors Miette déclarait qu’elle était en bateau, l’île marchait pour sûr ; elle la sentait bien qui l’emportait ; ce vertige que leur donnait le grand ruissellement dont leurs yeux s’emplissaient les amusait un instant, les tenait là, sur le bord, chantant à