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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/244

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LES ROUGON-MACQUART.

demi-voix, ainsi que les bateliers dont les rames battent l’eau. D’autres fois, quand l’île avait une berge basse, ils s’y asseyaient comme sur un banc de verdure, laissant pendre leurs pieds nus dans le courant. Et, pendant des heures, ils causaient, faisant jaillir l’eau à coups de talon, balançant les jambes, prenant plaisir à déchaîner des tempêtes dans le bassin paisible dont la fraîcheur calmait leur fièvre.

Ces bains de pieds firent naître dans l’esprit de Miette un caprice qui faillit gâter leurs belles amours innocentes. Elle voulut à toute force prendre de grands bains. Un peu en dessus du pont de la Viorne, il y avait un trou, très-convenable, disait-elle, à peine profond de trois à quatre pieds, et très-sûr ; il faisait si chaud, on serait si bien dans l’eau jusqu’aux épaules ; puis elle mourait depuis si longtemps du désir de savoir nager, Silvère lui apprendrait. Silvère élevait des objections : la nuit, ce n’était pas prudent, on pouvait les voir, ça leur ferait peut-être du mal ; mais il ne disait pas la vraie raison, il était instinctivement très-alarmé à la pensée de ce nouveau jeu, il se demandait comment ils se déshabilleraient, et de quelle façon il s’y prendrait pour tenir Miette sur l’eau, dans ses bras nus. Celle-ci ne semblait pas se douter de ces difficultés.

Un soir, elle apporta un costume de bain qu’elle s’était taillé dans une vieille robe. Il fallut que Silvère retournât chez tante Dide chercher son caleçon. La partie fut toute naïve. Miette ne s’écarta même pas ; elle se déshabilla, naturellement, dans l’ombre d’un saule, si épaisse que son corps d’enfant n’y mit pendant quelques secondes qu’une blancheur vague. Silvère, de peau brune, apparut dans la nuit comme le tronc assombri d’un jeune chêne, tandis que les jambes et les bras de la jeune fille, nus et arrondis, ressemblaient aux tiges laiteuses des bouleaux de la rive. Puis tous deux, comme vêtus des taches sombres que les hauts feuillages laissaient tomber sur eux, entrèrent dans l’eau gaie-