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LES ROUGON-MACQUART.

— Mais attends, dit-il en sautant vivement du lit, je vais te faire lire la correspondance d’Eugène. Tu jugeras mieux la situation.

Elle essaya vainement de l’arrêter par un pan de sa chemise ; il étala les lettres sur la table de nuit, se recoucha, en lut des pages entières, la força à en parcourir elle-même. Elle retenait un sourire, elle commençait à avoir pitié du pauvre homme.

— Eh bien, dit-il, anxieux, quand il eut fini, maintenant que tu sais tout, ne vois-tu pas une façon de nous sauver de la ruine ?

Elle ne répondit encore pas. Elle paraissait réfléchir profondément.

— Tu es une femme intelligente, reprit-il pour la flatter ; j’ai eu tort de me cacher de toi, ça, je le reconnais…

— Ne parlons plus de ça, répondit-elle… Selon moi, si tu avais beaucoup de courage…

Et, comme il la regardait d’un air avide, elle s’interrompit, elle dit, avec un sourire :

— Mais tu me promets bien de ne plus te méfier de moi ? tu me diras tout ? tu n’agiras pas sans me consulter ?

Il jura, il accepta les conditions les plus dures. Alors Félicité se coucha à son tour ; elle avait pris froid, elle vint se mettre près de lui ; et, à voix basse, comme si l’on avait pu les entendre, elle lui expliqua longuement son plan de campagne. Selon elle, il fallait que la panique soufflât plus violente dans la ville, et que Pierre gardât une attitude de héros au milieu des habitants consternés. Un secret pressentiment, disait-elle, l’avertissait que les insurgés étaient encore loin. D’ailleurs, tôt ou tard, le parti de l’ordre l’emporterait, et les Rougon seraient récompensés. Après le rôle de sauveurs, le rôle de martyrs n’était pas à dédaigner. Elle fit si bien, elle parla avec tant de conviction, que son mari,