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LA FORTUNE DES ROUGON.

surpris d’abord de la simplicité de son plan, qui consistait à payer d’audace, finit par y voir une tactique merveilleuse et par promettre de s’y conformer, en montrant tout le courage possible.

— Et n’oublie pas que c’est moi qui te sauve, murmura la vieille, d’une voix câline. Tu seras gentil ?

Ils s’embrassèrent, ils se dirent bonsoir. Ce fut un renouveau, pour ces deux vieilles gens brûlés par la convoitise. Mais ni l’un ni l’autre ne s’endormirent ; au bout d’un quart d’heure, Pierre, qui regardait au plafond une tache ronde de la veilleuse, se tourna, et, à voix très-basse, communiqua à sa femme une idée qui venait de pousser dans son cerveau.

— Oh ! non, non, murmura Félicité avec un frisson. Ce serait trop cruel.

— Dame ! reprit-il, tu veux que les habitants soient consternés !… On me prendrait au sérieux, si ce que je t’ai dit arrivait…

Puis, son projet se complétant, il s’écria :

— On pourrait employer Macquart… Ce serait une façon de s’en débarrasser.

Félicité parut frappée par cette idée. Elle réfléchit, elle hésita, et, d’une voix troublée, elle balbutia :

— Tu as peut-être raison… C’est à voir… Après tout, nous serions bien bêtes d’avoir des scrupules ; il s’agit pour nous d’une question de vie ou de mort… Laisse-moi faire, j’irai demain trouver Macquart et je verrai si l’on peut s’entendre avec lui. Toi, tu te disputerais, tu gâterais tout… Bonsoir, dors bien, mon pauvre chéri… Va, nos peines finiront.

Ils s’embrassèrent encore, ils s’endormirent. Et, au plafond, la tache de lumière s’arrondissait comme un œil terrifié, ouvert et fixé longuement sur le sommeil de ces bourgeois blêmes, suant le crime dans les draps, et qui voyaient en rêve tomber dans leur chambre une pluie de sang, dont