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LA FORTUNE DES ROUGON.


— Les bûcherons des forêts de la Seille, dit Silvère. On en a fait un corps de sapeurs… Sur un signe de leurs chefs, ces hommes iraient jusqu’à Paris, enfonçant les portes des villes à coups de cognée, comme ils abattent les vieux chênes-liéges de la montagne…

Le jeune homme parlait orgueilleusement des gros poings de ses frères. Il continua, en voyant arriver derrière les bûcherons, une bande d’ouvriers et d’hommes aux barbes rudes, brûlés par le soleil :

— Le contingent de la Palud. C’est le premier bourg qui s’est mis en insurrection. Les hommes en blouse sont des ouvriers qui travaillent les chênes-liéges ; les autres, les hommes aux vestes de velours, doivent être des chasseurs et des charbonniers vivant dans les gorges de la Seille… Les chasseurs ont connu ton père, Miette. Ils ont de bonnes armes qu’ils manient avec adresse. Ah ! si tous étaient armés de la sorte ! Les fusils manquent. Vois, les ouvriers n’ont que des bâtons.

Miette regardait, écoutait, muette. Quand Silvère lui parla de son père, le sang lui monta violemment aux joues. Le visage brûlant, elle examina les chasseurs d’un air de colère et d’étrange sympathie. À partir de ce moment, elle parut peu à peu s’animer aux frissons de fièvre que les chants des insurgés lui apportaient.

La colonne, qui venait de recommencer la Marseillaise, descendait toujours, comme fouettée par les souffles âpres du mistral. Aux gens de la Palud avait succédé une autre troupe d’ouvriers, parmi lesquels on apercevait un assez grand nombre de bourgeois en paletot.

— Voici les hommes de Saint-Martin-de-Vaulx, reprit Silvère. Ce bourg s’est soulevé presque en même temps que la Palud… Les patrons se sont joints aux ouvriers. Il y a là des gens riches, Miette ; des riches qui pourraient vivre tranquilles chez eux et qui vont risquer leur vie pour la défense