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LES ROUGON-MACQUART.

de la liberté. Il faut aimer ces riches… Les armes manquent toujours ; à peine quelques fusils de chasse… Tu vois, Miette, ces hommes qui ont au coude gauche un brassard d’étoffe rouge ? Ce sont les chefs.

Mais Silvère s’attardait. Les contingents descendaient la côte, plus rapides que ses paroles. Il parlait encore des gens de Saint-Martin-de-Vaulx, que deux bataillons avaient déjà traversé la raie de clarté qui blanchissait la route.

— Tu as vu ? demanda-t-il ; les insurgés d’Alboise et des Tulettes viennent de passer. J’ai reconnu Burgat le forgeron… Ils se seront joints à la bande aujourd’hui même… Comme ils courent !

Miette se penchait maintenant pour suivre plus longtemps du regard les petites troupes que lui désignait le jeune homme. Le frisson qui s’emparait d’elle lui montait dans la poitrine et la prenait à la gorge. À ce moment parut un bataillon plus nombreux et plus discipliné que les autres. Les insurgés qui en faisaient partie, presque tous vêtus de blouses bleues, avaient la taille serrée d’une ceinture rouge ; on les eût dit pourvus d’un uniforme. Au milieu d’eux marchait un homme à cheval, ayant un sabre au côté. Le plus grand nombre de ces soldats improvisés avaient des fusils, des carabines ou d’anciens mousquets de la garde nationale.

— Je ne connais pas ceux-là, dit Silvère. L’homme à cheval doit être le chef dont on m’a parlé. Il a amené avec lui les contingents de Faverolles et des villages voisins. Il faudrait que toute la colonne fût équipée de la sorte.

Il n’eut pas le temps de reprendre haleine.

— Ah ! voici les campagnes ! cria-t-il.

Derrière les gens de Faverolles, s’avançaient de petits groupes composés chacun de dix à vingt hommes au plus. Tous portaient la veste courte des paysans du Midi. Ils brandissaient en chantant des fourches et des faux ; quelques-uns