Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
LES ROUGON-MACQUART.

drale sonna le tocsin, sur un rhythme si irrégulier, si étrange, qu’on eût dit un martèlement d’enclume, un retentissement de chaudron colossal battu par le bras d’un enfant en colère. Cette cloche hurlante, que les bourgeois ne reconnurent pas, les terrifia plus encore que les détonations des fusils, et il y en eut qui crurent entendre les bruits d’une file interminable de canons roulant sur le pavé. Ils se recouchèrent, ils s’allongèrent sous leurs couvertures, comme s’ils eussent couru quelque danger à se tenir sur leur séant, au fond des alcôves, dans les chambres closes ; le drap au menton, la respiration coupée, ils se firent tout petits, tandis que les cornes de leurs foulards leur tombaient dans les yeux, et que leurs épouses, à leur côté, enfonçaient la tête dans l’oreiller en se pâmant.

Les gardes nationaux restés aux remparts avaient, eux aussi, entendu les coups de feu. Ils accoururent à la débandade, par groupes de cinq ou six, croyant que les insurgés étaient entrés au moyen de quelque souterrain, et troublant le silence des rues du tapage de leurs courses ahuries. Roudier arriva un des premiers. Mais Rougon les renvoya à leurs postes, en leur disant sévèrement qu’on n’abandonnait pas ainsi les portes d’une ville. Consternés de ce reproche — car, dans leur panique, ils avaient, en effet, laissé les portes sans un défenseur, — ils reprirent leur galop, ils repassèrent dans les rues avec un fracas plus épouvantable encore. Pendant une heure, Plassans put croire qu’une armée affolée le traversait en tous sens. La fusillade, le tocsin, les marches et les contre-marches des gardes nationaux, leurs armes qu’ils traînaient comme des gourdins, leurs appels effarés dans l’ombre, faisaient un vacarme assourdissant de ville prise d’assaut et livrée au pillage. Ce fut le coup de grâce pour les malheureux habitants, qui crurent tous à l’arrivée des insurgés ; ils avaient bien dit que ce serait leur nuit suprême, que Plassans, avant le jour, s’abîmerait sous terre ou s’éva-