rideau, il regarda la foule qui courait, éperdue sur la place. À ce coup de foudre, en moins d’une seconde, il se vit ruiné, pillé, assassiné ; il maudit sa femme, il maudit la ville entière. Et, comme il regardait derrière lui d’un air louche, cherchant une issue, il entendit la foule éclater en applaudissements, pousser des cris de joie, ébranler les vitres d’une allégresse folle. Il revint à la fenêtre : les femmes agitaient leurs mouchoirs, les hommes s’embrassaient ; il y en avait qui se prenaient par la main et qui dansaient. Stupide, il resta là, ne comprenant plus, sentant sa tête tourner. Autour de lui, la grande mairie, déserte et silencieuse, l’épouvantait.
Rougon, quand il se confessa à Félicité, ne put jamais dire combien de temps avait duré son supplice. Il se souvint seulement qu’un bruit de pas, éveillant les échos des vastes salles, l’avait tiré de sa stupeur. Il attendait des hommes en blouse, armés de faux et de gourdins, et ce fut la commission municipale qui entra, correcte, en habit noir, l’air radieux. Pas un membre ne manquait. Une heureuse nouvelle avait guéri tous ces messieurs à la fois. Granoux se jeta dans les bras de son cher président.
— Les soldats ! bégaya-t-il, les soldats !
Un régiment venait, en effet, d’arriver, sous les ordres du colonel Masson et de M. de Blériot, préfet du département. Les fusils aperçus des remparts, au loin dans la plaine, avaient d’abord fait croire à l’approche des insurgés. L’émotion de Rougon fut si forte, que deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il pleurait, le grand citoyen ! La commission municipale regarda tomber ces larmes avec une admiration respectueuse. Mais Granoux se jeta de nouveau au cou de son ami, en criant :
— Ah ! que je suis heureux !… Vous savez, je suis un homme franc, moi. Eh bien, nous avions tous peur, tous, n’est-ce pas, messieurs ? Vous seul étiez grand, courageux, sublime. Quelle énergie il a dû vous falloir ! Je le disais