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LES ROUGON-MACQUART.

C’est pour me faire comprendre que je ne suis plus rien. Je me moque bien de sa mairie ; elle ne lui rapporte pas un sou ! Il m’a invité, mais je dirai que j’ai du monde, moi aussi. Tu les verras rire jaune demain… Et mets les petits plats dans les grands. Fais tout apporter de l’hôtel de Provence. Il faut enfoncer le dîner du maire.

Félicité se mit en campagne. Pierre, dans son ravissement, éprouvait encore une vague inquiétude. Le coup d’État allait payer ses dettes, son fils Aristide pleurait ses fautes, et il se débarrassait enfin de Macquart ; mais il craignait quelque sottise de son fils Pascal, il était surtout très-inquiet sur le sort réservé à Silvère, non qu’il le plaignît le moins du monde : il redoutait simplement que l’affaire du gendarme ne vînt devant les assises. Ah ! si une balle intelligente avait pu le délivrer de ce petit scélérat ! Comme sa femme le lui faisait remarquer le matin, les obstacles étaient tombés devant lui ; cette famille qui le déshonorait avait, au dernier moment, travaillé à son élévation ; ses fils, Eugène et Aristide, ces mange-tout, dont il regrettait si amèrement les mois de collége, payaient enfin les intérêts du capital dépensé pour leur instruction. Et il fallait que la pensée de ce misérable Silvère troublât cette heure de triomphe !

Pendant que Félicité courait pour le dîner du soir, Pierre apprit l’arrivée de la troupe et se décida à aller aux renseignements. Sicardot, qu’il avait interrogé à son retour, ne savait rien : Pascal devait être resté pour soigner les blessés ; quant à Silvère, il n’avait pas même été vu du commandant, qui le connaissait peu. Rougon se rendit au faubourg, se promettant de remettre à Macquart, par la même occasion, les huit cents francs qu’il venait seulement de réaliser à grand’peine. Mais lorsqu’il fut dans la cohue du campement, qu’il vit de loin les prisonniers, assis en longues files sur les poutres de l’aire Saint-Mittre, et gardés