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LA FORTUNE DES ROUGON.

Elle était restée fort peu de temps dehors. Puis, en rentrant, elle était tombée roide par terre, sans dire un mot. Macquart avait dû la porter sur le lit.

— Ce qui m’étonne, dit-il en manière de conclusion, c’est qu’elle n’ait pas cassé la bouteille.

Le jeune médecin réfléchissait. Il reprit au bout d’un silence :

— J’ai entendu deux coups de feu en venant ici. Peut-être ces misérables ont-ils encore fusillé quelques prisonniers. Si elle a traversé les rangs des soldats à ce moment, la vue du sang a pu la jeter dans cette crise… Il faut qu’elle ait horriblement souffert.

Il avait heureusement la petite boîte de secours qu’il portait sur lui, depuis le départ des insurgés. Il essaya d’introduire entre les dents serrées de tante Dide quelques gouttes d’une liqueur rosâtre. Pendant ce temps, Macquart demanda de nouveau à son frère :

— As-tu l’argent ?

— Oui, je l’apporte, nous allons terminer, répondit Rougon, heureux de cette diversion.

Alors Macquart, voyant qu’il allait être payé, se mit à geindre. Il avait compris trop tard les conséquences de sa trahison ; sans cela, il aurait exigé une somme deux et trois fois plus forte. Et il se plaignait. Vraiment, mille francs, ce n’était pas assez. Ses enfants l’avaient abandonné, il se trouvait seul au monde, obligé de quitter la France. Peu s’en fallut qu’il ne pleurât en parlant de son exil.

— Voyons, voulez-vous les huit cents francs ? dit Rougon, qui avait hâte de s’en aller.

— Non, vrai, double la somme. Ta femme m’a filouté. Si elle m’avait carrément dit ce qu’elle attendait de moi, jamais je ne me serais compromis de la sorte pour si peu de chose.

Rougon aligna les huit cents francs en or sur la table.