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Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/373

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LA FORTUNE DES ROUGON.

cuiller, Sicardot, d’un geste, demanda un moment de répit. Il se leva, et gravement :

— Messieurs, dit-il, je veux, au nom de la société, dire à notre hôte combien nous sommes heureux des récompenses que lui ont values son courage et son patriotisme. Je reconnais que Rougon a eu une inspiration du ciel en restant à Plassans, tandis que ces gueux nous traînaient sur les grandes routes. Aussi j’applaudis des deux mains aux décisions du gouvernement… Laissez-moi achever… vous féliciterez ensuite notre ami… Sachez donc que notre ami, fait chevalier de la Légion d’honneur, va en outre être nommé à une recette particulière.

Il y eut un cri de surprise. On s’attendait à une petite place. Quelques-uns grimacèrent un sourire ; mais, la vue de la table aidant, les compliments recommencèrent de plus belle.

Sicardot réclama de nouveau le silence.

— Attendez donc, reprit-il, je n’ai pas fini… Rien qu’un mot… Il est à croire que nous garderons notre ami parmi nous, grâce à la mort de M. Peirotte.

Tandis que les convives s’exclamaient, Félicité éprouva un élancement au cœur. Sicardot lui avait déjà conté la mort du receveur particulier ; mais, rappelée au début de ce dîner triomphal, cette mort subite et affreuse lui fit passer un petit souffle froid sur le visage. Elle se rappela son souhait ; c’était elle qui avait tué cet homme. Et, avec la musique claire de l’argenterie, les convives fêtaient le repas. En province, on mange beaucoup et bruyamment. Dès le relevé, ces messieurs parlaient tous à la fois ; ils donnaient le coup de pied de l’âne aux vaincus, se jetaient des flatteries à la tête, faisaient des commentaires désobligeants sur l’absence du marquis ; les nobles étaient d’un commerce impossible ; Roudier finit même par laisser entendre que le marquis s’était fait excuser, parce que la peur des insurgés lui avait