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LES ROUGON-MACQUART.

jasaient, assis dans un coin, pendant les longues soirées ! Elle venait par là, elle avait usé un coin du bloc à poser les pieds, quand elle descendait du mur. Il restait un peu d’elle, de son corps souple, dans cette empreinte. Et lui pensait que toutes ces choses étaient fatales, que cette pierre se trouvait à cette place pour qu’il pût y venir mourir, après y avoir aimé.

Le borgne arma ses pistolets.

Mourir, mourir, cette pensée ravissait Silvère. C’était donc là qu’on l’amenait, par cette longue route blanche qui descend de Sainte-Roure à Plassans. S’il avait su, il se serait hâté davantage. Mourir sur cette pierre, mourir au fond de l’allée étroite, mourir dans cet air, où il croyait sentir encore l’haleine de Miette, jamais il n’aurait espéré une pareille consolation dans sa douleur. Le ciel était bon. Il attendit avec un sourire vague.

Cependant Mourgue avait vu les pistolets. Jusque-là, il s’était laissé traîner stupidement. Mais l’épouvante le saisit. Il répéta d’une voix éperdue :

— Je suis de Poujols, je suis de Poujols !

Il se jeta à terre, il se vautra aux pieds du gendarme, suppliant, s’imaginant sans doute qu’on le prenait pour un autre.

— Qu’est-ce que ça me fait que tu sois de Poujols ? murmura Rengade.

Et comme le misérable, grelottant, pleurant de terreur, ne comprenant pas pourquoi il allait mourir, tendait ses mains tremblantes, ses pauvres mains de travailleur déformées et durcies, en disant dans son patois qu’il n’avait rien fait, qu’il fallait lui pardonner, le borgne s’impatienta de ne pouvoir lui appliquer la gueule du pistolet sur la tempe, tant il remuait.

— Te tairas-tu ! cria-t-il.

Alors Mourgue, fou d’épouvante, ne voulant pas mourir,