Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/114

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répondaient par des faux-fuyants, il annonçait enfin qu’il allait saisir de leur refus le conseil de famille. Tout en ne l’avouant pas, madame Chanteau était prise des terreurs de son mari.

— Le misérable ! murmura-t-elle, après avoir lu la lettre.

Ils se regardèrent en silence, très pâles. Déjà, dans l’air mort de la petite salle à manger, ils entendaient le retentissement d’un procès scandaleux.

— Tu n’as plus à hésiter, reprit le père, marie-la, puisque le mariage émancipe.

Mais cet expédient paraissait répugner à la mère chaque jour davantage. Elle exprimait des craintes. Qui savait si les deux enfants se conviendraient ? On peut être une bonne paire d’amis et faire un ménage détestable. Dans les derniers temps, disait-elle, bien des remarques fâcheuses l’avaient frappée.

— Non, vois-tu, ce serait mal de les sacrifier à notre paix. Attendons encore… Et, du reste, pourquoi la marier maintenant, puisqu’elle a eu dix-huit ans le mois dernier, et que nous pouvons demander l’émancipation légale ?

Sa confiance revenait, elle monta chercher son Code, tous deux l’étudièrent. L’article 478 les tranquillisa, mais ils restèrent embarrassés devant l’article 480, où il est dit que le compte de tutelle doit être rendu devant un curateur, nommé par le conseil de famille. Certes, elle tenait dans sa main tous les membres du conseil, elle leur ferait nommer qui elle voudrait ; seulement, quel homme choisir, où le prendre ? Le problème était de substituer à un subrogé-tuteur redouté un curateur complaisant.

Tout d’un coup, elle eut une inspiration.