Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ville. Peu à peu mangé sur son étroite plage de galets, le village menaçait d’être définitivement aplati contre la falaise si l’on ne se décidait pas à le protéger par des travaux sérieux. Mais il était d’une si mince importance, avec ses trente masures, que Chanteau, en qualité de maire, attirait vainement depuis dix années l’attention du sous-préfet sur la situation désespérée des habitants. Enfin, Lazare, poussé par Pauline, dont le désir était de le rejeter dans l’action, venait d’avoir l’idée de tout un système d’épis et d’estacades, qui devait museler la mer. Seulement, il fallait des fonds, une douzaine de mille francs au moins.

— Celui-là, je vous le souffle, mon ami, dit le prêtre, en prenant un pion.

Puis, il donna complaisamment des détails sur l’ancien Bonneville.

— Les vieux le disent, il y avait une ferme sous l’église même, à un kilomètre de la plage actuelle. Voici plus de cinq cents ans que la mer les mange… C’est inconcevable, ils doivent expier de pères en fils leurs abominations.

Cependant, Pauline était retournée près du banc où les quatre galopins attendaient, sales, déguenillés, la bouche béante.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? lui demanda Louise, sans trop oser s’approcher.

— Ça, répondit-elle, ce sont mes petits amis.

Maintenant, sa charité active s’élargissait sur toute la contrée. Elle aimait d’instinct les misérables, n’était pas répugnée par leurs déchéances, poussait ce goût jusqu’à raccommoder avec des bâtons les pattes cassées des poules, et à mettre dehors, la nuit, des écuelles de soupe pour les chats perdus. C’était,