Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/126

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chez elle, un continuel souci des souffrants, un besoin et une joie de les soulager. Aussi les pauvres venaient-ils à ses mains tendues, comme les moineaux pillards vont aux fenêtres ouvertes des granges. Bonneville entier, cette poignée de pêcheurs rongés de maux sous l’écrasement des marées hautes, montait chez la demoiselle, ainsi qu’ils la nommaient. Mais elle adorait surtout les enfants, les petits aux culottes percées, laissant voir leurs chairs roses, les petites blêmies, ne mangeant pas à leur faim, dévorant des yeux les tartines qu’elle leur distribuait. Et les parents finauds spéculaient sur cette tendresse, lui envoyaient leur marmaille, les plus troués, les plus chétifs, pour l’apitoyer davantage.

— Tu vois, reprit-elle en riant, j’ai mon jour comme une dame, le samedi. On vient me visiter… Eh ! toi, petite Gonin, veux-tu bien ne pas pincer cette grande bête de Houtelard ! Je me fâche, si vous n’êtes pas sages… Tâchons de procéder par ordre.

Alors, la distribution commença. Elle les régentait, les bousculait avec maternité. Le premier qu’elle appela, ce fut le fils Houtelard, un garçon de dix ans, le teint jaune, de mine sombre et terreuse. Il montra sa jambe, il avait au genou une longue écorchure, et son père l’envoyait chez la demoiselle, pour qu’elle lui mît quelque chose là-dessus. C’était elle qui fournissait tout le pays d’arnica et d’eau sédative. Sa passion de guérir lui avait fait peu à peu acheter une pharmacie très complète, dont elle était fière. Lorsqu’elle eut pansé l’enfant, elle baissa la voix, elle donna des détails à Louise.

— Ma chère, des gens riches, ces Houtelard, les seuls pêcheurs riches de Bonneville. Tu sais bien, la grande barque est à eux… Seulement, une avarice