Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/134

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L’espoir de vaincre la mer l’enfiévrait. Il avait conservé contre elle une rancune, depuis qu’il l’accusait sourdement de sa ruine, dans l’affaire des algues. S’il n’osait l’injurier tout haut, il nourrissait l’idée de se venger un jour. Et quelle plus belle vengeance, que de l’arrêter dans sa destruction aveugle, de lui crier en maître : « Tu n’iras pas plus loin ! » Il entrait aussi, dans cette entreprise, en dehors de la grandeur du combat, une part de philanthropie qui achevait de l’exalter. Lorsque sa mère l’avait vu perdre ses journées à tailler des morceaux de bois, le nez sur des traités de mécanique, elle s’était rappelé en tremblant le grand-père, le charpentier entreprenant et brouillon, dont le chef-d’œuvre inutile dormait sous une boîte vitrée. Est-ce que le vieux allait renaître, pour achever la ruine de la famille ? Puis, elle s’était laissé convaincre par ce fils adoré. S’il réussissait, et il réussirait naturellement, c’était enfin le premier pas, une belle action, une œuvre désintéressée qui le mettrait en lumière ; de là, il irait aisément où il voudrait, aussi haut qu’il en aurait l’ambition. Depuis ce jour, toute la maison ne rêvait plus que d’humilier la mer, de l’enchaîner au pied de la terrasse dans une obéissance de chien battu.

Le projet de Lazare était du reste, comme il le disait, d’une grande simplicité. Il se composait de gros pieux, enfoncés dans le sable, recouverts de planches, et derrière lesquels les galets amenés par le flot formeraient une sorte de muraille inexpugnable, où se briseraient ensuite les vagues : la mer elle-même était ainsi chargée de construire la redoute qui l’arrêterait. Des épis, de longues poutres portées sur des jambes de force, faisant brise-lames au loin,